Questions à :
Dr. Anaïs Verbrugge-Fuselier | Médecin du sport et diplômée en micronutrition
Anaïs Verbrugge-Fuselier accompagne au quotidien athlètes professionnels et sportifs amateurs.
POURQUOI A-T-ON CETTE IMAGE DE L’ATHLÈTE QUI DOIT MANGER BEAUCOUP DE PROTÉINES… ET DONC DE VIANDE ?
A V.-F. : Les protéines servent à deux choses : à la structure même du corps (muscles, tendons, os) et au fonctionnement enzymatique interne (de la chimie pure). En réalité, on n’a pas besoin des protéines mais des acides aminés qu’elles contiennent. Certains sont dits « essentiels », car le corps humain ne les synthétise pas lui-même et ils sont seulement apportés par l’alimentation. Notre structure, les tissus de notre corps, sont constamment dégradés et reconstruits à des rythmes différents, c’est pour cela que nous avons besoin d’apports réguliers. Il y a des phases de vie où il faut être encore plus vigilants aux apports protéiques : quand on est malade ou blessé, quand on prend de l’âge… et quand on est très sportif ! Parmi mes patients sportifs, beaucoup me disent qu’ils ont limité la viande, d’autres sont même végétariens, mais j’ai peu de végétaliens. À chacun, je demande son historique, ses habitudes alimentaires, depuis combien de temps il les met en place. A-t-il établi un bilan biologique ? Quelles sont ses stratégies concernant de potentielles carences en nutriments ? Parce que oui, on peut limiter ou même arrêter complètement les protéines animales. Cela nécessite d’en être conscient et de veiller à ses apports en protéines végétales, qui doivent être variés et en quantité suffisante pour prévenir le risque de carences en certains acides aminés. À l’inverse, manger trop de viande rouge et charcuterie est mauvais pour la santé et l’environnement.
« Il existe une manière assez simple de s’assurer d’avoir de tout : manger très varié et avoir plein de couleurs dans son assiette. »
QUELLE EST LA MEILLEURE ALIMENTATION POUR ÉVITER LES CARENCES ?
A V.-F. : Il existe une manière assez simple de s’assurer d’avoir de tout : manger très varié et avoir plein de couleurs dans son assiette. Il faut avoir un peu de curiosité culinaire et ne pas toujours manger la même chose. La cuisson est également importante : pour ne pas détruire les minéraux et vitamines des aliments, il faut éviter une cuisson trop poussée. Il y a un régime reconnu : le régime méditerranéen, avec beaucoup de légumes pas trop cuits et d’oméga 3.
« Il n’y a pas de déterminisme. On peut donc modifier le fonctionnement de notre corps via l’alimentation. »
Y A-T-IL DES SPÉCIFICITÉS ALIMENTAIRES POUR LES ATHLÈTES DE HAUT NIVEAU ?
A V.-F. : Chez les athlètes de très haut niveau, le corps est mis au service du projet sportif, parfois même au détriment de la santé. Pour progresser et performer, on va mettre le corps dans un état adaptatif, c’est l’objectif de l’entraînement. Ce faisant, on va frôler ses limites et le rôle de l’encadrement sportif (médecin, kiné, entraîneur) est de permettre ce phénomène d’adaptation qui peut être très compliqué ! Tout est aussi question de progression. Chez un sportif de haut niveau, on va créer plus de stress corporel que chez une personne lambda, tout en maximisant ses capacités de récupération à ce stress et de réparation. Ce sont des mécanismes nécessitant énormément de micronutriments, vitamines et même pigments, qui doivent donc être en quantité et qualité suffisantes. Mais la santé concerne tout le monde. Une carence en fer par exemple crée de la fatigue, des troubles de la concentration. C’est plus compliqué de rattraper une carence que de l’éviter. Il faut aussi avoir conscience que notre environnement – au sens large, stress, mode de vie, pollution, sommeil, etc. – joue un rôle majeur sur l’expression de nos gènes. C’est ce qu’on appelle l’épigénétique. Il n’y a pas de déterminisme. On peut donc modifier le fonctionnement de notre corps via l’alimentation.
UN MAUVAIS RÉGIME ALIMENTAIRE A-T-IL DES CONSÉQUENCES DIRECTES SUR LES PERFORMANCES ?
A V.-F. : Il va y avoir au moins une stagnation. Au cours de l’entraînement (chez quelqu’un qui veut vraiment aller dans le haut niveau), il faut travailler plusieurs facteurs : le mental, la technique, le matériel, le corps, le sommeil, etc. Pour progresser, il va aussi falloir enlever certains freins à la performance et l’alimentation peut vraiment en être un. Une mauvaise alimentation crée un état de stress physiologique de bas grade. C’est un stress qu’on ne perçoit pas beaucoup mais qui crée une inflammation chronique, diminuant les capacités et augmentant les risques de lésion, de stress psychologique ou de maladie.
EXISTE-T-IL D’AUTRES RECOMMANDATIONS SIMPLES À SUGGÉRER À TOUT ADULTE, POUR LA SANTÉ PAR L’ALIMENTATION ?
A V.-F. : Un conseil simple, ça peut être de s’offrir une poignée d’un mélange d’oléagineux (noix, amandes, noisettes) par jour. Ça assure des apports en minéraux qui sont intéressants. Et essayer de manger très varié. Pour le reste, je dirais que c’est quand même très personnel. La norme est un repère utile, fondé sur des études scientifiques, mais qui doit être adapté à l’individu. Ce sont deux approches différentes. La nutrition part d’une assiette parfaite, avec 30 % de glucides, 20 % de protéines, etc. En micronutrition, on adapte les apports aux besoins de la personne ou à ses symptômes. Il y a une vraie différence entre quelqu’un qui a un coup de fatigue parce qu’il lui manque des glucides complexes et une personne qui ne mange que des produits très transformés, surchargés d’additifs et pauvres en nutriments. Avec cette dernière, on va commencer par retrouver le vrai goût des aliments bruts, c’est presque une rééducation du palais.
QUELLES PRÉCAUTIONS PRENDRE SI ON ARRÊTE LA VIANDE ?
A V.-F. : Je conseille de se renseigner et de mettre en place une vraie stratégie. Concernant les protéines, pour ne pas avoir de carence en acides aminés, il faut associer les céréales et les légumineuses. Le règne végétal est riche en fer, en minéraux, en protéines, mais souvent, ces nutriments sont moins bien assimilés que dans les produits animaux. Il peut être intéressant de se questionner sur la présence de facteurs de risque de carence, en fer par exemple, comme des menstruations abondantes. Une prise de sang peut être nécessaire pour interroger le régime mis en place. Si on cesse tout apport d’origine animale, il faut aussi penser à la supplémentation en vitamine B12. Voilà pour les conseils d’ordre général, à adapter à chaque adulte. Chez l’enfant, c’est encore plus spécifique, il faut se faire accompagner médicalement pour ne pas compromettre son développement.
SI JE SUIS TRÈS SÉDENTAIRE ET QUE JE VEUX ESSAYER DE CHANGER LES CHOSES, PAR OÙ JE COMMENCE ?
A V.-F. : Par boire de l’eau ! Quand on commence le sport, il faut éliminer les déchets de l’effort, et on en a besoin pour créer de l’énergie. Il faut aussi faire les choses progressivement pour laisser le corps s’adapter physiologiquement et mécaniquement et éviter les blessures. En opérant des changements, on recherche souvent des résultats rapides et radicaux pour ne pas se décourager. Il faut trouver la balance et avoir de l’indulgence. Et puis commencer par des routines. Ce qui va durer, c’est ce qui va être habituel.