Ville quasi-frontalière, ville d’accueil, Grenoble et ses voisines sont un creuset de populations du monde. Ce multiculturalisme n’est pas une particularité locale, mais les composantes de la mosaïque dessinent une singularité grenobloise. Le Musée Dauphinois s’en est fait le reflet, par les expositions consacrées successivement à toutes les cultures qui ont fabriqué l’identité métropolitaine. Une manière de reconnaître leur place dans l’histoire locale.
« L’air d’Italie » de Grenoble
Les racines italiennes de Grenoble sont évidemment le premier ferment de cette identité : « L’air d’Italie » de Grenoble est d'autant plus important qu’il s’inscrit dans la très longue durée. Depuis les Allobroges venant du Piémont au IIIème siècle avant JC, en passant par le moyen-âge et le soutien des banquiers italiens du Nord pour le développement du Dauphiné, jusqu’à la forte influence de l’art italien sur Stendhal, Hébert et Berlioz, le mythe de l'Italien imprègne le récit grenoblois. Bien sûr, le principal lien aujourd’hui est l’immigration italienne massive fin XIXème et début XXème dans la région grenobloise. Malgré leurs origines souvent modestes, des Italiens créent des entreprises de bâtiment et travaux publics ; ils sont ouvriers, mineurs ou bûcherons. Les grandes sociétés locales sont presque toutes italiennes au milieu du siècle dernier et l’intégration italienne dans la vie politique et culturelle est très forte.
Aujourd’hui plus d’une famille métropolitaine porte encore dans son nom les traces de nos voisins transalpins. Le concept d’italianité traduit ce sentiment diffus d’appartenance à une terre, à une langue, à une culture, que chaque Italien d’origine porte en lui. Et qui fait partie du patrimoine commun.
D'Isère et du Maghreb
Autre ingrédient fort de l’identité multiculturelle : les liens au Maghreb. L’exposition « Pour que la vie continue. D’Isère et du Maghreb. Mémoires d’immigrés » n’avait ni patrimoine, ni collections à valoriser : elle a mis au centre la parole. Les témoignages recueillis ont beaucoup parlé de l’absence de choix : quitter l'Algérie, le Maroc ou la Tunisie, tant pour gagner de quoi nourrir les siens que pour rejoindre un mari ou un père en exil, s'est imposé à tous, à des degrés divers, comme une obligation. Même avec le secret espoir de revenir un jour, il fallait partir, pour que la vie continue. Aujourd’hui, la culture maghrébine imprègne l’identité du territoire grenoblois et de ses habitants : quartiers anciens et plus récents, commerçants et restaurateurs, collègues de travail. En majorité Algériens, ils viennent aussi du Maroc et de Tunisie, sont présent à tous les âges de la vie, des vieux chibanis (« cheveux blancs » en arabe) aux enfants de la 3ème génération, souvent tiraillés entre deux cultures.
D'Isère et d'Arménie
2 autres minorités ont été également mises en scène dans des expositions : les Arméniens et les Grecs. Les Arméniens, peu nombreux mais très actifs, sont un autre ferment du territoire grenoblois : « D'Isère et d'Arménie » était centré sur leur préoccupation majeure, le génocide de 1915 et sa reconnaissance. Ce n’est pas un hasard si le projet de loi sur la reconnaissance du génocide arménien a été déposé par un député de l’Isère… Très intégrée à la vie locale, la diaspora arménienne a su garder les traces de son « arménité », langue, religion et histoire. L’histoire des Grecs orthodoxes, peu nombreux, est aussi celle d’un exil, au début du XXème siècle. Là encore, les coutumes et traditions marquent certains commerces et monuments du territoire.
La Métropole nomade
L’exposition sur les Tsiganes « La vie de bohème ? » a été la plus compliquée à construire. Cette complexité parle bien de la difficulté à reconnaître leur intégration : entre fascination pour un mode de vie « de bohème » et stigmatisation. Pourtant, la présence de nomades est attestée dans la ville depuis des siècles, et leur sédentarisation date des années 1920-1930. Établis dans un premier temps rue Très-Cloîtres et de l’Alma, des logements leur sont proposés plus tard dans le quartier de l’Abbaye-Châtelet. Nombre d’entre eux, des Sinti, sont originaires du Piémont. Au fil des années, par l’insertion professionnelle, la scolarisation des enfants, les mariages mixtes, cette population s’est assimilée tout en conservant des traits culturels spécifiques : la langue, la persistance de l'appel au voyage. Environ huit cents Roms, dont certains arrivés très récemment, vivent aujourd’hui en Isère, souvent dans des conditions très précaires. Le concept de musée est totalement étranger à leur culture dans la mesure où parler de la mort est impossible. Il n’est donc pas imaginable de revenir sur le passé : dans la tradition ancienne, on brûlait tous les biens du mort, y compris l'argent. D’où la difficulté à écrire l’histoire commune.
Juxtaposition de communautés ou identité commune ?
On ne peut vivre longtemps ensemble sans rapprochements, à toutes les générations... mais il a fallu du temps et l’intégration reste inégale.Autre particularité grenobloise, les types d’immigration. Certes, comme ailleurs, l’immigration de la misère est très présente. Mais on trouve ici, plus qu’ailleurs, la migration des intelligences. Parmi les chercheurs et ingénieurs du territoire, nombreux sont ceux quiparlent avec des accents... Les étudiants étrangers sont particulièrement nombreux et c’est dans leurs rangsqu’on a vu récemment arriver, en grand nombre, la communauté chinoise.
L’accueil de l’étranger est bien une spécificité locale : le métier principal des Presses Universitaires de Grenoble est le français langue étrangère (FLE). Pourquoi un leader français des manuels de FLE à Grenoble ? Parce que dès l’immédiat après-guerre, sous l’influence de Paul-Louis Merlin, s’est installé le CUEF, centre d'accueil des étudiants étrangers.
L’immigration anglo-saxonne s’inscrit dans cette dynamique : l’image de Grenoble, ville savante, ville d'ingénieurs, date de 1925 avec la Houille Blanche et le tourisme. À partir de là, le territoire a fait venir des cerveaux du monde entier grâce à ses deux réacteurs nucléaires, au synchrotron, à sa dynamique universitaire. Les Jeux olympiques de 1968 ont élargi ce rayonnement international. Et, quand la multinationale STMicroelectronics décide de s’installer, parmi les éléments justifiant le choix d’implantation, c’est autant l’écosystème lié à la recherche, la culture locale… que les photos du coucher de soleil sur Belledonne qui ont emporté le morceau !
Il y a, en Dauphiné, une relation ancienne à la migration : les habitants des montagnes, avaient cette obligation, tous les hivers, de sillonner les routes comme colporteurs, travailleurs saisonniers pour rapporter de l'argent. Devenus fleuristes, merciers, lunetiers, on les trouve jusqu'au Chili et en Pologne. Ceux qui ont, dans leurs racines, la culture du départ, sont peut-être enclins à recevoir plus facilement… ceux qui arrivent.